Nuit noire
Publié par Mon Nid Test dans Humeurs le 16 novembre 2015
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Comme toujours, je me tais.
J’écoute et je me tais.
Et puis, à un moment donné, le besoin arrive. Fort. Irrépressible, presque. Celui de dire, d’exprimer, de vider, de déverser.
Il m’a fallu presque 3 jours en boule intérieure, 3 jours pour tenter de digérer avant de vomir.
3 jours à aspirer les témoignages, à me noyer dans l’angoisse des rescapés pour réaliser que c’était vraiment arrivé, et pouvoir enfin me révolter.
Ma soirée était belle. J’avais laissé les enfants à un baby-sitter pour pouvoir aller à mon cours de danse. Mon rendez-vous du vendredi soir, cette année, qui me permet de vider un peu toutes les tensions de la semaine. Un petit voisin est venu garder les oisillons en attendant que l’Homme rentre de Paris. Il devait rentrer tard, arriver gare de Lyon d’un déplacement en province, et prendre le RER A puis B pour rentrer chez nous.
J’ai dansé, et, à 22h45, le cours terminé, je suis rentrée chez moi, dans la nuit calme et paisible de ma petite ville de banlieue.
L’Homme était manifestement rentré puisqu’il n’y avait plus de baby-sitter mais un ordinateur professionnel sur la table du salon. Rentré, mais déjà couché. Alors, avant de le rejoindre, je me suis posée quelques minutes et ai allumé Facebook.
…
Une amie parisienne avait publié un statut angoissé, mentionnant des fusillades dans la capitale.
…
Mon sang s’est glacé, j’ai allumé la télé. Images d’horreur, discours de guerre.
Et mon cerveau a disjoncté. Le baby-sitter parti, le portable pro sur la table du salon, mais de mari, point à l’horizon. Et si ? Et s’il n’était pas rentré malgré tous les indices évidents ? Et s’il était là-bas, étendu sur le trottoir ?
Escalier avalé 4 à 4, porte ouverte à la volée sur un petit mari en train de bouquiner tranquillement au lit en m’attendant. Lui était monté directement en rentrant, et n’était au courant de rien.
Mon sang était glacé. Mon Homme était sauf, mais j’ai pensé à mes parents, banlieusards également, qui parlaient d’un concert parisien prochainement. J’ai pensé à mon grand-frère, qui se rendait régulièrement au stade de France pour soutenir ses équipes de foot favorites. J’ai pensé à mon petit frère qui aimait tant les soirées parisiennes et ses petits restos.
J’ai appelé. Je me suis énervée sur les téléphones qui ne répondaient pas, sur les répondeurs qui s’enclenchaient. Pendant ce temps, mon cœur ne battait plus, mon cerveau moulinait seul dans l’angoisse. J’ai finalement été rassurée. Pour tous ces gens-là.
Alors mon horizon s’est élargi, et j’ai pensé à mes amis fans de hard rock, qui allaient régulièrement au concert. Facebook m’a rapidement rassuré sur eux, mais m’a appris que l’un de leurs amis était au Bataclan ce soir-là. Il en est revenu (choqué), mais pas le copain qui l’accompagnait…
Un à un, les parisiens que je connaissais et les banlieusards susceptibles de s’y trouver ont donné signe de vie. Pour eux, j’étais rassurée. Mais les informations vomissaient leur lot d’angoisse sur un nombre impressionnant d’inconnus. J’ai regardé la télé jusque tard dans la nuit.
Quand je suis allée me coucher, c’était avec l’image de l’attaque du Bataclan, le carnage vraisemblable à l’intérieur, la centaine de morts, mais aussi les hashtags « porteouverte » qui ont tourné toute la soirée sur twitter, cette belle humanité, ces mains tendues au-delà de l’horreur.
En m’endormant, j’ai pensé à mes petits. A mes 4 amours. Et à la folie qui nous avait pris de mettre au monde 4 enfants dans ce tourbillon de haine. J’ai pensé que j’avais été bien égoïste de les faire naître pour les confronter à ça. Et puis, ce matin, j’y ai repensé, et je me suis dit que c’était beau, finalement. Que je leur avais « donné la vie », et qu’au milieu de tous ces morts, un don de vie, c’était un espoir.
Le lendemain matin, tout était terminé. Ca a été rapide. S’en est ensuivi une période d’étrangeté. Une espèce de « pince-moi, je rêve ». Alors oui, ils en parlaient encore à la télé, en continu. Oui, mon voisin, croisé dans la matinée de samedi était tout tremblant à l’idée de ce qui aurait pu arriver, lui qui avait passé la soirée au stade de France avec son fils de l’âge de Coquillette, et avait senti les tribunes trembler à chaque détonation, persuadé que ce n’étaient pas des pétards, mais pensant qu’un colis suspect avait été détruit, puisque le match se poursuivait tranquillement.
Et puis les témoignages, les dizaines de récit d’horreur, la haine froide des assassins, l’angoisse extrême des rescapés. Tous ces témoignages glaçants qui, petit à petit, m’ont permis d’intégrer, d’éliminer le rêve pour en faire une réalité.
Et ces sanglots du matin, alors que je voulais emmener Bouchon au spectacle organisé par la médiathèque (mais finalement annulé comme toutes les manifestations en Ile de France) et qu’il m’a répondu qu’il ne voulait pas y aller, parce que c’était moi. Que si son père l’emmenait à ma place, il irait par contre avec plaisir. Alors les vannes ont rompu, et j’ai pleuré, sur mon fils dont je n’arrivais pas à gérer la jalousie, et puis sur l’angoisse, sur les morts, sur Paris. Les larmes ont coulé et m’ont fait du bien. Le câlin de Coquillette qui s’est alors précipité dans mes bras pour mêler ses larmes aux miennes a aidé.
Oui, nous en avons parlé aux enfants. Aux deux grands dès leur réveil le samedi matin. Expliquer. Mettre des mots sur ce qu’il s’est passé. Dire avant qu’ils ne l’apprennent, nécessairement, dans la cour de récréation. Avant qu’ils ne le comprennent à travers les images qu’ils capteront ou les mots qu’ils intercepteront. Expliquer posément pour éviter à l’imagination de s’emballer. Rassurer, surtout. Autant que possible. Dire la vérité, ne pas rentrer dans le sordide, exprimer nos propres émotions sans se laisser submerger par elles, et insister sur tout ce qui sera mis en place pour éviter au maximum que cela ne se reproduise. Et puis insister sur le fait qu’il ne faut pas faire d’amalgame, qu’il ne faut pas rajouter de la haine à la haine. Cibler les terroristes comme des terroristes, et non comme des croyants.
A Bouchon, j’ai parlé aussi. Parce que la médiathèque était finalement fermée (et que mes larmes lui ont fait brusquement changer d’avis sur son envie d’aller au spectacle avec moi). Je ne me suis pas étendue sur les détails, mais il fallait dire. Poser des mots. Expliquer ce que ses antennes avaient capté sans comprendre. Dire, parce que ses ainés allaient sans doute nous en reparler, et qu’il entendrait alors des mots qui font peur. Parce que mes larmes avaient coulé, et pas seulement à cause de lui. Alors je lui ai parlé, simplement. Je lui dis que des fous méchants avaient tué dans Paris des gens qui n’étaient pas d’accord avec eux. Que tout le monde était très triste de ce qu’il s’était passé, mais que les fous méchants avaient été arrêtés.
Sur ma page facebook, j’ai relayé les conseils et journaux pour enfants qui me semblaient pertinents pour nous, pour vous aider à parler aux enfants. Parce que c’est important. A leur niveau, en fonction de leur âge. Si vous en avez besoin, n’hésitez pas à aller voir.
Hier soir, après être monté se coucher, Hérisson est redescendu, quémandant un câlin. Il avait besoin de reparler, d’être rassuré de nouveau. Tenter de comprendre, et savoir que des choses vont être mises en place pour éviter que cela ne se reproduise. Même si ça ne sera peut-être et sûrement pas suffisant.
J’ai fait une boulimie de témoignages et de discussions. J’ai gobé l’amour qui se déversait à travers les mains tendues et l’angoisse qui suintait des rescapés. Je me suis imprégnée, et je me suis sentie vivante.
Je me suis réchauffée dans les câlins de mes enfants, j’ai snifé leur parfum d’innocence, je me suis pansée avec leur rire dévastateur. Malgré la haine, j’ai trouvé la vie.
8 commentaires sur “Nuit noire”
Oui… exactement. Un énorme choc (encore), de la sidération (encore). Des jours sombres (encore). Et un besoin immense de se prendre dans les bras.
On s’est tous beaucoup câlinés, ce week-end. Et là, encore, j’ai besoin de ma dose de bisous. Cela tombe bien, cette immense dose d’amour sort à 16h de l’école.
Aujourd’hui, je ne me dirai pas que j’avais encore tellement de travail à faire à cette heure-ci. Non, je vais courir prendre mes enfants dans mes bras, passer ma main dans leur chevelure. Leur faire des bisous dans le cou.
Et encore. Et encore.
De très grosses bises, Marie. <3
C’est dingue comme ça fait revoir ses priorités, ce genre d’évènements… Nous en discutions justement avec ma voisine, ce midi, qui a récupéré sa fille à l’école au lieu de la laisser manger à la cantine comme d’habitude le lundi. Besoin d’une bonne dose d’innocence et de câlin, besoin de profiter de ceux qu’on aime… Bises à toi aussi
♥
<3
Que ce monde est dur…
Et qu’il est glaçant de se dire que j’aurais pu être au match de foot… ou encore que l’attentat aurait pu se dérouler à midi, au moment où je suis passé à 100m de l’endroit où sont mortes 19 personnes rue de Charonne…
Oui, le monde est horrible. Ou plutôt ces fous sont horribles. Et, s’ils ont envie de tuer ainsi, c’est qu’ils n’ont jamais pris d’enfant dans leurs bras, qu’ils n’ont jamais senti la vie se blotir contre eux. Bref, qu’ils n’ont jamais connu la vie.
Tu as raison. Il leur manque quelque chose d’essentiel: la vie, l’amour.
Tu me donnes froid dans le dos avec tes expériences parisiennes. Prends soin de toi, surtout.
Le carnage, l’horrible tourbillon… et puis un flottement… Je ne sais pas si on est dans la phase où le monde recommence à respirer, malgré les nombreux messages d’espoir. Pour ma part il me faut encore du temps pour digérer tout ça avant de peut-être poser des mots. La réaction de mes enfants, c’est maintenant, suite aux nouvelles mesures de « sécurité » (bousculade devant l’école = sécurité ?) mise en place. L’onde de choc les atteint maintenant. Et moi ? En tout cas, bravo d’avoir pu écrire et soulager ton cœur !
Merci pour tes mots. Ca m’a fait du bien, vraiment. D’un autre côté, je suis encore en état de choc, je pense. En tous cas, pas du tout rassurée à l’idée de devoir parfois aller à Paris… Quant aux « mesures de sécurité », je suis bien d’accord avec toi… Pour certaines, on voit bien l’utilité, mais pour d’autres, au-secours !!!